Journaliste -Elisabeth Chesnais – photographe Patrick Monnard
QUE CHOISIR MENSUEL N° 613 MAI 2022

Sommaire : « Dossier 4 pages »
Alerte Le désespoir des propriétaires
Sous l’effet du changement climatique, les fissures sur les maisons individuelles sont de plus en plus fréquentes après des épisodes de sécheresse. Il s’agit généralement de bâtiments situés sur des sols argileux propices au phénomène de retrait-gonflement, et les propriétaires ont beaucoup de difficultés à faire reconnaitre leur logement en « catastrophe naturelle sécheresse ». La publication d’un arrêté est indispensable pour la prise en compte des dégâts. Ce n’est cependant pas toujours suffisant, puisque les experts des sociétés d’assurance mettent en avant certains arguments pour ne pas indemniser les propriétaires en droit d’y prétendre. La réforme du régime CatNat publiée fin 2021 ne constitue pas une avancée dans ce domaine, une situation inacceptable laissant de nombreuses victimes dans la détresse.
Dans les contrats,l’assurance habitation couvre le risque de fissures dues à la sécheresse au titre des catastrophes naturelles. Dans les faits, la grande majorité des propriétaires concernés vit un enfer.

« Des dommages en fortes progressions » a averti la Cour des comptes, en février dernier. Lézardes autour des fenêtres, portes ne fermant plus …. Si ces problèmes ne sont pas nouveaux, ils affectent de plus en plus de propriétaires de maisons individuelles bâties sur sur un terrain argileux. C’est que ce dernier fait mauvais ménage avec le dérèglement climatique. Et pour cause, les évènements météo exceptionnels amplifient le phénomène de retrait-gonflement de ce type de sol. Les périodes de sécheresse qui conduisent l’argile à s’assécher, se tasser et se rétracter, deviennent plus intenses et plus longues. Les fissures apparaissent sur les murs et s’aggravent à chaque nouvel épisode. Entre temps, les pluies réhydratent les terres en un rien de temps. Soumises à des pressions contraires, les habitations reposant sur des fondations peu profondes sont les plus vulnérables, surtout quand la couche argileuse qui les supporte est épaisse. En outre, certaines argiles se dilatent plus que d’autres.
Des millions de foyers touchés
S’appuyant sur une cartographie élaborée par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières, le commissariat général au développement durable avait d’abord établi que 4,3 millions de maisons individuelles étaient situées dans un périmètre d’aléa fort ou moyen. Le zonage du risque argile ayant été revu en 2019, ce chiffre est passé à 10,4 millions d’habitations menacées, dont 44% bâties après 1975.
Le nombre de logement exposés aurait pu être réduit : voici 30 ans que les mesures à prendre ont été consignées dans un guide officiel
Le nombre de logement exposé aurait pu être réduit : voici en effet 30 ans que les mesures à prendre pour éviter les dégâts ont consignées dans un guide officiel intitulé « sécheresse et construction » . Tout le monde l’a ignoré, on a continué à construire en dépit du bon sens. Ainsi, 3,5 millions de maisons ont été édifiées depuis 2000 sans intégrer le paramètre de retrait-gonflement. Il a fallu attendre la loi Elan pour qu’il soit enfin pris en compte. A partir d’Octobre 2020, elle a rendu obligatoire la réalisation d’une étude de sol de type G5 – celle qu’exigent en vain les sinistrés – avant la vente d’un terrain à bâtir dans les secteurs argileux. Le texte a également imposé le respect des techniques particulières de construction.
Compte tenu de la récurrence des sécheresses extrêmes sur ces six dernières années, de plus en plus de d’habitations sont touchées. A chaque fois, la découverte des premières fissures annonce le début d’une longue galère, souvent sans le moindre résultat. On ne compte plus le nombre de dossiers rejetés faute d’un arrêté » CatNat [Catastrophe Naturelle] sécheresse « , ou non indemnisés par les compagnies d’assurances. Nous avons suivis le parcours de quelques victimes. Instructif !!
La galère des sinistrés abandonnés
Propriétaire d’un pavillon à Neuville-sur-Sarthe (Sarthe), Mohamed Benyahia profite de son jardin en ce jour ensoleillé de septembre 2018 quand son épouse remarque de petites fissures sur la façade.

Il sollicite une reconnaissance en catastrophe naturelle au maire, sans succès. Un arrêté sécheresse est publié l’été suivant, mais il ne concerne que 6 villes du département sur les 24 l’ayant réclamé. La sienne n’y figurant pas, son assureur refuse de couvrir le sinistre. Depuis, les brèches se sont tellement agrandies qu’il a fallu poser des étais. « J’ai financé une étude de sol, elle prouve que ma maison est implantée sur un terrain argileux qui la classe en aléa fort », souligne le particulier, rapport à l’appui. « On entend les murs craquer, l’un d’eux se désolidarise, et on se retrouve abandonnés ». En l’absence d’arrêté sur sa commune, la compagnie d’assurances ne veut toujours pas prendre en charge les dommages.

C’est la cas également de dizaines de milliers de victimes dont les logements se fissurent de partout. Selon la Cour des comptes, « sur les neufs dernières années, 50% des demandes communales de reconnaissance « CatNat sécheresse » n’ont pas abouti ». Dans les Deux-Sèvres, « seulement 3 communes sur 73 ont été classées en 2019 », abonde Véronique Fortin, présidente de l’Association des sinistrés de la sécheresse du département. Car pour que l’état de catastrophe naturelle soit constatée par un arrêté ministériel, il faut remplir deux conditions : la présence d’argiles sensibles sur au moins 3% du territoire et un taux d’humidité du sol devant égaler le premier ou le deuxième plus faible de ceux mesurés depuis 50 ans. Toutefois, elles font l’objet de vives contestations.

D’abord, des veines argileuses qui serpentent sous terre détériorent les maisons installées sur leur tracé, sans pour autant qu’elles couvent 3% du territoire de la commune. Ensuite, il n’existe que 3000 points de mesure de pluviométrie dans l’Hexagone pour déterminer la l’intensité anormale de la sécheresse, alors qu’il est divisé en presque 9000 mailles (carré). « Météo France ne dispose pas d’un seul détecteur d’humidité dans notre département, et on prétend évaluer le taux le niveau de sécheresse pour nous indemniser, c’est indigne », s’insurge l’Association Urgence maisons fissurées-Sarthe.
Aucune donnée n’est donc recueillie sur place. « Le critère de la sécheresse saisonnière se révèle inadaptée », confirme la Cour des comptes, ajoutant que « le maillage retenu ne correspond pas aux points de relevés pluviométriques de Météo France ». La Cour conclut que « les critères de reconnaissance restent complexes, ne reposent pas sur une prise de mesure sur le terrain et ne tiennent pas suffisamment compte des réalités locales ». Le gouvernement le sait parfaitement : il a créé un fond spécial de soutien aux sinistrés sécheresse qui n’avaient pas été couverts par le régime CatNat en 2018.
Des assureurs qui trainent les pieds
Voir sa commune figurer sur un arrêté est indispensable, mais cela ne garantit pas que la compagnie d’assurances prendra en charge les dégradations …. Le rôle de son expert reste, en effet, de la faire payer le moins possible. Dés lors, toutes les raisons sont bonnes pour refuser d’indemniser le sinistre, de la fuite dans les canalisations jusqu’à la charpente ayant trop chauffé pendant la canicule, ou encore les racines de l’arbre qui pompent l’humidité sous les fondations – ce qui peut juste constituer un facteur aggravant. « Les assureurs doivent analyser les dommages constater afin d’en déterminer l’origine, le phénomène de retrait et de gonflement des sols argileux n’étant pas toujours la cause, précise Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs, l’ex- Fédération française de l’assurance. L’expert utilise un faisceau d’indices pour établir sa position. En cas de désaccord, l’assuré peut demander une contre expertise qui, dans certains contrats, est prise en charge par l’assureur ».
Le rôle de l’expert d’assureur est de le faire payer le moins possible ; dés lors, toutes les raisons bonnes pour ne pas indemniser
S’il n’existe pas de chiffres précis, la grande majorité des experts semblent s’opposer au dédommagement. Exemple dans le Loiret, où aucun arrêté n’avait été promulgué lors de la canicule 2003, alors que les premières failles s’étaient formées sur les milliers de maisons dans 200 communes du département. En 2018, la plupart d’entre elles ont été classées en CatNat. Les dégâts s’étant aggravés avec ce nouvel épisode de sécheresse, les sinistrés ont contacté leur assurance. A quelques exceptions près, aucun d’entre eux n’a été couvert. » J’avais fait réaliser des travaux après l’apparition des fissures en 2003, explique Sandra Arfa, une habitante de Donnery (Loiret). Mon assureur a saisi ce prétexte pour ne pas m’accorder l’indemnisation au titre des fissures importantes de 2018. Cependant, les sinistrés qui n’avaient fait aucune réparation n’ont pas été pris en charge non plus, les assureurs leur ayant reproché d’avoir laissé leur bien se dégrader! Ils trouvent toujours des arguments pour ne pas verser d’argent ». Résultat, des habitations se détériorent fortement dans le département : un arrêté de péril a déjà été pris, d’autres pourraient suivre. Avant d’en arriver là, certains propriétaires bradent leur logement. Dans les environs de Donnery, une demeure entourée d’un grand jardin paysager et évaluée à 250 000 € avant la sécheresse de 2018, qui l’a alors fissurée de partout, s’est finalement vendue 100 000 € …. Les acquéreurs vont la raser et reconstruire.
Simple travaux de colmatage
Quand les experts d’assurance reconnaissent le problème, ils recommandent le plus souvent des travaux à minima. Selon le rapport de la Cour des comptes, le coût moyen de l’indemnisation d’un sinistre sécheresse s’élève à 16 300 €, une somme sui couvre le colmatage des fissures et le crépi.

- – Pour réparer les brèches chez Mr Chardon, à Saint Georges-de-la-Couée (72), il faudra plus qu’un simple colmatage et du crépi!-
Mais la pose de micropieux, seule technique permettant de renforcer les fondations de façon définitive. Peu de biens fissurés y ont droit. Illustration avec les 150 dossiers que gère l’association Les oubliés de la canicule du Loiret : moins de 10 prévoient des micropieux ! Nombre de propriétaires n’ont, comme seule perspective, que le délabrement progressif de leur logement sans que personne ne s’en émeuve … Pas plus les assureurs que l’État. Ils sont seuls et désespérés face aux craquements la nuit, à l’eau qui s’infiltre dés qu’il pleut, à l’emprunt qu’ils continuent de rembourser pour une maison qui ne vaut plus rien.

En 2018, le président de la République s’était engagé à rendre le régime CatNat « plus incitatif, plus rapide et plus juste ». La loi du 28 décembre 2021 l’a réformé. Les associations ont bataillé tant et plus pour y faire figurer l’étude de sol sur site, preuve irréfutable de la responsabilité du terrain argileux en matière de maisons fissurées. En 2019, un rapport d’information du Sénat avait d’ailleurs reconnu le bien fondé de leurs demandes. Il préconisait la réalisation d’une étude de sol de type G5 à l’occasion de la gestion du sinistre et la garantie d’une réparation pérenne et durable par l’assurance. C’était prometteur. Malheureusement, les débats législatifs ont eu raison de cette prise en compte de la détresse des victimes. Le Parlement s’est calé sur l’hostilité des assureurs à ces mesures : aujourd’hui, les fissures doivent compromettre la solidité du bâtiment pour qu’il y ait indemnisation. « C’est aberrant, tacle Hélène Niktas, référente des Oubliés de la canicule dans l’Ain. Celles qui sont déclarées « esthétiques » mesurent 1,5 cm de large deux ans plus tard ! La remise en l’état antérieur participe aussi à cette nouvelle doctrine défavorable aux sinistrés. Elle n’impose plus que le colmatage des fissures et la réfection du crépi, une solution à efficacité temporaire ».
Cerise sur le gâteau, sénateurs et députés ont modifié la règle de l’indemnisation. Les réparations ne pourront plus excéder la valeur vénal du bien. Les associations dénoncent une injustice criante puisque le prix de l’installation de micropieux atteint 100 000 €. Il s’agit là de l’abandon définitif des propriétaires qui vivent dans des territoires ruraux où l’immobilier est peu valorisé. Eux n’auront jamais droit à une maison définitivement stabilisée, sa valeur étant inférieure au montant des travaux. « Selon nos projections, sur les 30 prochaines années, le coût des sinistres climatiques pourraient quasiment doubler et celui des sécheresses, tripler et représenter 43 milliards d’euros en cumulé entre 2020 et 2050, prévient Franck Le Vallois. Or, le régime CatNat doit rester équilibrer. Renforcer la résilience des bâtiments existants constitue une des pistes de travail, et des expérimentations sont en cours ».
En attendant, une multitude de sinistrés sont laissés à leur triste sort sans la moindre solution pour consolider leur bien, malgré la supprime de CatNat de 12% prélevée chaque année sur leur assurance habitation.